Le Tchad submergé par les réfugiés de la guerre au Soudan:

Depuis bientôt une année, la guerre s’enlise au Soudan. Au Tchad voisin, la petite ville frontalière d’Adré est submergée par l’afflux de réfugiés. 500.000 personnes sont arrivées depuis les dix mois écoulés. Ils s’entassent dans leurs abris de fortune aux alentours d’un pont de béton jamais raccordé à la route. Les autorités tchadiennes comme les humanitaires sont dépassées par l’ampleur de la situation. Un reportage sur place de Patricia Huon pour l’émission Transversales.

Iran Press/ Le Monde: L’UNICEF et l’OMS pointent le Soudan comme le pays des plus grandes souffrances. Des dizaines de milliers d’enfants vont mourir de faim cette année. L’ONU demande en 2024 une aide de quatre milliards de dollars, nécessaires pour venir en aide aux civils. Dans un contexte de guerre civile où deux généraux se disputent le pouvoir, plus de sept millions de personnes ont fui les combats. Ils ont tenté entre autres de rallier le Tchad voisin, l’un des pays les plus pauvres au monde.

Une guerre qui a réveillé les conflits intercommunautaires

Fuir le danger nécessite de s’exposer à la violence durant le voyage. Sur la route entre Al-Genaïna et Adré, des miliciens arabes capturent des civils qui tentent de fuir. Les hommes de l’ethnie Massali, une communauté non arabe, sont particulièrement persécutés. Cette nouvelle guerre a réveillé les affrontements intercommunautaires.

Izzédine arrive du Darfour occidental au Soudan. La capitale Al-Genaïna n’est distante que d’une trentaine de kilomètres de la ville de Adré, poste frontière avec le Tchad. Après dix jours de trajets mouvementés, porté par l’espoir de rejoindre sa famille, il raconte : "Je me suis caché sans manger ni boire. Il n’y a pas de combats sur la route, mais il y a des contrôles, certains se font arrêter, ou rançonner, ils m’ont pris mon argent. Ils volent aussi les téléphones portables. Si tu ne fais pas ce que les milices te demandent, tu risques d’être frappé ou emprisonné".

Au camp de réfugié, la croix rouge a installé des centres d’appels pour permettre aux familles d’entrer en contact. S’il a pu retrouver sa mère et son fils, Izzedine explique comment son père a été tué. "Il marchait dans la rue, et ils l’ont tué. Juste comme cela, sans raison. C’est très dur. C’est vraiment indescriptible".

Des réfugiés qui arrivent avec des blessures de guerre

Au camp de Adré, les équipes des ONG, notamment celles de Médecins sans Frontière, doivent prendre en charge des blessés sévères, victimes des combats. Blessures par balle, fractures ouvertes, amputations, l’hôpital d’Adre manque de moyens devant la gravité des blessures. Certains devront garder un handicap tout le reste de leur vie, à cause de soins inadaptés. Une rescapée raconte comment elle a eu le fémur brisé par un tir d’arme automatique : "J’étais dans ma maison, ils ont tiré depuis l’extérieur, à travers la porte. Ce jour-là, deux de mes fils ont été tués, d’autres gens ont été blessés. Ils voulaient prendre nos biens, ils voulaient nous tuer. Toutes nos céréales et objets de valeur étaient enterrés, mais ils ont fouillé la maison, les ont déterrés et les ont emmenés".

Presque chaque famille a perdu un de ses membres, parent ou enfant, mort ou disparu. International Rescue Comity a mis en place des cellules d’aide psychologique pour assister les réfugiés traumatisés. Un médecin spécialiste des troubles post-traumatiques est lui-même réfugié après avoir fui les violences d’Al-Genaïna. À sa consultation, une femme est en crise. Elle a perdu ses trois fils pendant la guerre. Plus tard, c’est une fillette de six ans qui souffre de terreurs nocturnes. Sa mère, son père et son petit frère ont été tués devant elle.

"Beaucoup ont vu des gens se faire tuer devant eux, ou être grièvement blessé. Ils ont vu des cadavres. Ils ont vu des gens piller et brûler leur maison. Cela concerne 80% des personnes dans le camp. C’est devenu presque normal d’être dans une situation dramatique, surtout quand votre voisin est dans une situation encore pire. C’est devenu normal d’avoir perdu des proches. Maintenant, les gens l’acceptent. Même la violence, ils ont déjà vu tellement de choses que c’est devenu normal d’avoir une telle tristesse dans leur vie".

Un retour au Soudan impossible à imaginer

Les Nations Unies et le gouvernement tchadien se pressent de désengorger la ville d’Adré en délocalisant les réfugiés. Un éloignement de la frontière recommandé par l’ONU pour les protéger d’incursions ou pour éviter le recrutement par des groupes armés. Le retour au Soudan est peu probable, le conflit s’enlise. Mais les réfugiés s’accrochent tout de même à l’espoir d’une vie meilleure. Ils sont emmenés avec leurs bagages par camion vers de nouveaux camps permanents.

 

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