Iran Press/ Le Monde: Cela fait 30 ans que le Kivu est ravagé par des conflits dont les médias ne parlent presque plus. Dans cette région, le viol et la torture des femmes ont été utilisés - et le sont toujours - comme armes de guerre, avec une ampleur inégalée dans l'Histoire. En octobre 2023, les combats entre l'armée congolaise, les rebelles du M23, à majorité tutsis, soutenus par le Rwanda, et des rebelles "patriotes", ont redoublé d'intensité. La population est prise en tenaille et est obligée de fuir. Depuis 2004, le conflit a déjà entraîné le déplacement de plus de six millions de personnes. Pour les chiffres des victimes, celui-ci est tout aussi saisissant.
C’est en 1994, à l'ombre du génocide rwandais que la situation au Kivu bascule. Les réfugiés rwandais arrivent en masse vers Goma mais ils ne sont pas les seuls. Des milliers de génocidaires sont également venus se cacher avec leurs armes dans cette région et avec la "bénédiction internationale". L’accès à l’eau potable étant difficile, le choléra fait son apparition et provoque de nombreux ravages. Le conflit est complexe et s’éternise. En 30 ans, les alliances ont changé entre les groupes armés qui sillonnent et meurtrissent la région. Si le nombre de morts dans ce conflit est très élevé, c’est sans compter sur le nombre de victimes de viols qui sont toujours vivantes, mais qui ont été littéralement détruites : 18.000 femmes ont subi des violences sexuelles en 30 ans.
Parmi les groupes armés circule l’idée qu’un homme voit sa valeur à travers son épouse "car la femme est sacrée" explique Justine Masika Bihamba. C’est pour cette raison que des femmes sont violées devant leur mari, leurs enfants : pour affaiblir les hommes qui sont en train de combattre. "Et quand on introduit des objets pointus dans les organes génitaux des femmes, quand on tire à bout portant sur les organes génitaux, c’est pour détruire, ce n’est pas pour le plaisir sexuel" souligne-t-elle.
À 58 ans, Justine Masika Bihamba se bat depuis des années sur le terrain mais elle sillonne également le monde pour interpeller les instances internationales et défier leur silence trop souvent retentissant.
Dans ce livre - à la lecture éprouvante mais nécessaire- , elle raconte la situation dramatique et l’ampleur du conflit mais également la force qui anime les victimes qui ont réussi à se reconstruire. À ses yeux, les femmes sont une partie de la solution : "Les femmes qui nous arrivent étaient abattues, elles ne voulaient plus continuer puisqu'elles ont été déshonorées mais avec l'accompagnement que nous faisons avec elles, elles se disent 'non, nous sommes des femmes fortes, nous allons continuer'".
Aujourd’hui, 50% des femmes avec lesquelles Synergie travaille sont des anciennes victimes mais ce sont aussi des survivantes et des actrices de changements.
De nombreuses femmes taisent leur viol car elles sont considérées comme déshonorées par la communauté qui les rejettent. Elles se retrouvent alors seules face à ce traumatisme dévastateur. Certaines femmes violées se retrouvent enceintes.
C’est également une "double peine" pour ces femmes meurtries physiquement et psychiquement qui doivent surmonter le traumatisme tout en s’occupant d’un enfant qui est un rappel constant de ce traumatisme. En RDC, l’avortement n’est pas vraiment possible de manière légale. "Il y a le protocole de Maputo qui autorise l'avortement en cas de viol, en cas d’inceste et lorsque la femme n'a pas toutes ses facultés, mais cette loi n'a jamais n'a jamais été mise en application" déplore Justine Masika Bihamba. Sur le terrain, l’association "Synergie" essaie d’aider les mamans à accepter leur enfant innocent, mais aussi à subvenir à leurs besoins, ou encore à payer leur scolarité.
Aujourd’hui, la très grande majorité de ces viols ne sont pas punis en République démocratique du Congo. "Nous croyons que si les auteurs de viol étaient punis, il y aurait une diminution des violences sexuelles" pointe Justine Masika Bihamba. Même si la corruption permet toujours à certains de bénéficier de peines plus légères que les 5 à 20 années requises pour un tel crime.
Dans ce conflit qui dure depuis longtemps, l’aide internationale est peu présente. L’aide humanitaire est limitée et la Monusco, la mission de de maintien de la paix des casques Bleus, va bientôt se retirer de la région sur un constat d'échec. Afin de porter la problématique en dehors de son pays, Justine Masika Bihamba a rencontré de nombreux chefs d’État tout comme le prix Nobel, Denis Mukwege qui se bat pour "réparer les femmes" victimes de ce conflit.
Si les Occidentaux ne mesurent pas l’ampleur du drame qui se déroule au Kivu depuis tant d’années, c'est pour les raisons directes du conflit, celles des ressources présentes dans le sous-sol de la RDC. En plus des mines d'or, de cobalt et d'étain, cette région regorge de coltan, un minerai indispensable pour la création des smartphones et ordinateurs. "80% du coltan vient de la province Nord-Kivu" assure-t-elle, alors que l'on estime que les réserves mondiales de ce minerai s'étendraient de 60 à 80% sur le territoire de la RDC. Avec les téléphones portables et les ordinateurs, "vous avez notre guerre dans vos mains".
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