Tant qu’il n’est pas prouvé que le Rwanda est un pays sûr, les Lords britanniques désapprouvent le projet controversé du Premier ministre Rishi Sunak visant à expulser les migrants dans ce pays ? Pourtant, le gouvernement considère ce pays du centre de l’Afrique comme "un pays sûr" mais l’est-il vraiment pour les demandeurs d’asile ? Et pourquoi le Rwanda ?

Iran Press/ Le Monde: "Demandez au Royaume-Uni. C’est le problème du Royaume-Uni, pas celui du Rwanda." C’est la réponse du président rwandais, Paul Kagamé lorsque Faisal Islam, rédacteur en chef du service économique de la BBC l’interpelle au sommet de Davos : "La Cour suprême (britannique, ndlr) a déclaré que votre pays n’était pas sûr. Est-il sûr pour les réfugiés ?"

S’ensuit un échange sur le financement de ces expulsions. "Mais vous recevez des centaines de millions d’euros du contribuable britannique… sans un seul réfugié ?", continue le journaliste britannique. "L’argent sera utilisé pour les personnes qui viendront. Si elles ne viennent pas, nous pourrons rendre l’argent", répond le président rwandais.

De l’argent

"C’est la première chose que le Rwanda a à gagner, c’est de l’argent ", explique Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Ifri, l’Institut français des relations internationales. Comme le détaille The Guardian, environ 240 millions de livres sterling (280 millions d’euros environ) ont été versés au Rwanda jusqu’à présent dans le cadre de l’accord. C’est ce qu’a déclaré le gouvernement britannique l’année dernière. Un paiement supplémentaire de 50 millions de livres sterling (58 millions d’euros) était attendu au cours de l’exercice 2024-2025. Deux autres versements sont prévus.

Sauf qu’aucune personne n’a été expulsée au Rwanda jusqu’à présent. Le premier vol qui devait avoir lieu en juin 2022 a été arrêté par une injonction de Cour européenne des droits de l’homme. D’où la proposition du président de ce pays africain de "rendre l’argent" si aucune personne n’est envoyée dans son pays.

"Le pays a fait des avancées considérables en termes de reconstruction depuis le génocide contre les Tutsis", contextualise Christian Rumu, chargé de campagne dans la région des Grands lacs pour Amnesty International. "Mais ça reste l’un des pays les plus pauvres de la région qui a besoin de ressources considérables pour sa reconstruction."

Mais pour le chargé de campagne, cette manne financière venant d’un pays riche à un pays pauvre revêt une connotation néocoloniale. "Le Royaume-Uni se décharge de l’accueil des demandeurs d’asile en contrepartie d’argent. Cela va à l’encontre du panafricanisme (la volonté d’émancipation et d’unification des Africains en une communauté mondiale, ndlr) prôné au Rwanda et en tant qu’Africain. Comment peut-on traiter la vie des gens de cette manière ? Surtout venant d’un pays très riche qui ne manque pas de moyens pour traiter les cas des demandeurs d’asile."

Une position qui apparaît entre les lignes de l’analyse légale de l’accord par le HCR, l’Agence des Nations Unies. "Les réfugiés sont déjà accueillis de manière disproportionnée dans le monde en développement, dans des pays qui continuent d’accueillir et de protéger les réfugiés malgré des défis très pressants. Les pays à revenus faibles et moyens, y compris en Afrique, accueillent 75% des réfugiés dans le monde. Le transfert définitif de demandeurs d’asile du Royaume-Uni vers le Rwanda accentuera ce déséquilibre au lieu d’y remédier."

Le représentant d’Amnesty International va plus loin. "Cet accord est même raciste car on constate un double standard entre le traitement des demandeurs d’asile venant d’Afrique et les personnes blanches, comme les Ukrainiens. Ça pose beaucoup de questions. Ce n’est pas une question de moyens, c’est un choix du Royaume-Uni de différencier ses demandeurs d’asile."

Une position sur la scène internationale

Outre l’intérêt financier, accueillir les demandeurs d’asile du Royaume-Uni est aussi une façon pour le Rwanda de peser au niveau diplomatique, d’avoir un levier de négociation avec les pays qui cherchent " des solutions " pour gérer leur politique migratoire, nous disent nos interlocuteurs.

"C’est politiquement avantageux car cela met le Rwanda dans une relation d’assistant dans sa politique d’immigration par rapport à la Grande-Bretagne", continue Thierry Vircoulon. "Cela lui permet d’avoir une certaine influence politique. Le Rwanda se signale ainsi à d’autres pays européens comme un pays qui peut résoudre leur problème d’expulsion."

Mais en quoi être le réceptacle des demandeurs d’asile de pays riches peut être enviable sur la scène internationale ? "C’est un levier de négociation", répond analyse Grâce Favrel, avocate au barreau de Paris spécialisée dans les droits humains. "Le Rwanda se positionne comme partenaire. Un peu comme la Turquie quand elle a signé un pacte migratoire avec l’Union européenne en acceptant de 'retenir' les réfugiés venant de Syrie sur son territoire en 2015, cela lui a donné une force de négociation."

"Le Rwanda est quant à lui critiqué sur la scène internationale en raison de certaines politiques de répression ", continue l’avocate. "Cet accord est donc une manière d’éviter que l’on critique son bilan sur les droits humains." Ainsi, "dans l’Est de la RDC, le Rwanda est accusé de soutenir les rebelles du M23 mais depuis cet accord, on n’entend plus le Royaume-Uni sur cette situation", ajoute Christian Rumu.

"La Grande-Bretagne a déjà voté un texte à la chambre du parlement disant que c’est un pays sûr", reprend l’avocate. "Il y aura ainsi moins de critiques sur le bilan des droits humains au Rwanda." Un pays sûr ? Les organisations de défense des droits humains n’en sont pas aussi convaincues.

Amnesty International d’abord, pointe les préoccupations du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés : "privations arbitraires d’accès à la procédure d’asile, risques de détention et d’expulsion, discrimination à l’encontre des personnes LGBTQIA + et un manque d’assistance juridique." L’ONG souligne également des manquements quant au droit à un procès équitable, aux droits sexuels et reproductifs, aux droits des femmes ou encore à la liberté d’expression.

À ce propos, l’ONG Human Rights Watch dénonçait cette semaine encore des abus à l’encontre des journalistes dans ce pays. Des disparitions et décès suspects ainsi que la menace d’arrestations et de poursuites constitue une manière efficace de s’assurer que les journalistes au Rwanda pratiquent l’autocensure, affirme l’organisation de défense des droits humains.

"Les récits terrifiants de torture en prison et l’incapacité à rendre justice pour la mort suspecte d’un journaliste d’investigation marquent un début d’année sombre pour les journalistes au Rwanda ", estime Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch.

"Le bilan du Rwanda en matière de liberté de la presse continuera très probablement à se détériorer, à moins que le système judiciaire ne commence à agir de manière indépendante et libère les journalistes emprisonnés et que les autorités cessent de les cibler."

À Nairobi, le chargé de campagne d’Amnesty International abonde mais contextualise tout de même. "Le gouvernement du Rwanda rétorque en disant que le pays reçoit des dizaines de centaines de milliers de réfugiés", explique Christian Rumu. "Dès lors, le Rwanda, fait quand même un travail considérable en accueillant les réfugiés pour des raisons humanitaires. Il y a beaucoup de réfugiés congolais et burundais au Rwanda qui sont bien pris en charge."

"Mais ce n’est pas pour autant que le Rwanda est un pays sûr pour ce genre d’accord." Et de prendre l’exemple d’un autre contrat signé, cette fois, entre Israël et le Rwanda. C’était en 2014, Israël a également expulsé des migrants cers le Rwanda et l’Ouganda.

 

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