Il y a 30 ans, le Rwanda sombrait dans l’enfer du génocide :

Dans le cadre des 30 ans du génocide des Tutsis au Rwanda, cet article initialement publié le 05 avril 2019 vous est reproposé pour revenir sur les événements historiques qui ont touché le pays dès le 6 avril 1994.

Iran Press/ Le Monde: Le 6 avril 1994 dans la soirée, une explosion retentit au-dessus de Kigali, la capitale du Rwanda. C’est un avion qui vient d’être abattu. À son bord, le président Juvenal Habyarimana ainsi que son homologue burundais. Ils reviennent d’une visite à Arusha en Tanzanie. La mort du Président rwandais servira de détonateur ou de prétexte au déchaînement de la violence. 25 ans plus tard, on ne sait toujours pas qui est responsable de sa mort. Ce qui est certain par contre, c’est que dans les heures qui suivent, des barrages apparaissent sur les routes de Kigali. Des hommes armés de machettes entament une véritable chasse aux Tutsis. Très rapidement les massacres se répandent dans tout le pays. Le génocide commence.

Hutus, Tutsis, Twa : ceux qui composent le Rwanda

Il faut remonter dans le temps pour comprendre cette explosion de violence.

Le Président est un Hutu. Au pouvoir depuis 1973. Les Hutus sont majoritaires au sein de la société rwandaise. Deux autres minorités existent : les Tutsis et les Twa. Des ethnies ? Des catégories sociales plutôt. Exacerbées par les colonisateurs allemands puis belges.

Diviser pour régner : la responsabilité des colonisateurs

Aux origines, les Hutus sont des cultivateurs. Ils sont les plus pauvres et les plus nombreux au sein de la population. Les Tutsis quant à eux sont des pasteurs, dans le sens qu’ils possèdent du bétail, ce qui a énormément de valeur. Au fil des siècles, leur coexistence n’est pas parfaite mais ils ne connaissent aucun massacre de grande ampleur contrairement à ce qui se passe dans d’autres régions. Le territoire passe sous contrôle allemand à partir de 1886 puis, à la fin de la Première Guerre mondiale, c’est la Belgique qui reprend le pouvoir sur ce petit territoire. Les méthodes sont les mêmes, favoriser les Tutsis et privilégier ceux qui acceptaient l’ordre colonial. Les Hutus ayant des postes importants sont écartés. Une politique menée jusque dans les années '50. Des cartes d’identité sont instaurées par les Belges. Elles mentionnent Hutus ou Tutsis. Un comptage « ethnique » est même réalisé, 14% de la population seraient Tutsi, 85% Hutu.

Le pouvoir passe aux mains des Hutus

À l’indépendance, les Hutus, largement majoritaires, prennent le pouvoir. Une chasse aux Tutsis commence immédiatement et fait, à l’époque, plusieurs milliers de morts. Certains Tutsis fuient, vers l’Ouganda notamment. C’est en 1973 que Juvenal Habyarimana, général hutu, s’empare du pouvoir grâce à un coup d’État militaire. Il prend la tête d’une dictature corrompue qui laisse une énorme partie de la population dans la misère. Il est en revanche soutenu par les puissances étrangères. En 1990, le FPR (Front patriotique rwandais) surtout composé des Tutsis qui avaient fui en Ouganda, se lance dans une lutte armée. Une guerre civile éclate. Après 3 ans de combats, les accords d’Arusha sont signés entre le FPR et le pouvoir en place. Ils doivent permettre d’intégrer au fur et à mesure les membres du FPR tant au niveau politique que militaire. Une mission de l’ONU, la Minuar est chargée de faire respecter cet accord de paix. Les casques bleus déployés sont en grande partie des para-commandos belges. Mais le Président Habyarimana semble très réticent à l’idée de lâcher le pouvoir. Dans son entourage, la perspective de collaborer avec les membres du FPR passe très mal. Des Hutus extrémistes commencent à armer des jeunes gens dans les villages. Ils les entraînent, s’organisent, ce sont les milices interhamwes.

« L’élimination des cafards »

La propagande anti-tutsi est massive. Et simpliste : « Si vous ne tuez pas les Tutsis, ce sont eux qui vous tueront ». Une propagande haineuse qui trouve un écho auprès d’une population qui se considère comme laissée-pour-compte au sein de la société rwandaise.

Les messages passent notamment par la radio Mille Collines qui diffuse constamment un discours de haine. Il faut « éliminer les cafards ». Quand l’avion du président est abattu le 6 avril 1994, c’est le signal du départ au massacre. Les milices interhamwes exécutent massivement les Tutsis et les Hutus modérés dont les noms sont inscrits sur des listes.

« Pour tous ceux-là, le génocide est la meilleure chose qui puisse arriver. Ils peuvent avec la bénédiction d’une espèce d’autorité, prendre leur revanche sur des individus socialement puissants. […] Ils peuvent voler, ils peuvent tuer sans avoir trop à se justifier, ils peuvent violer et ils peuvent se saouler gratuitement. C’est merveilleux. Les objectifs politiques des instigateurs de ce sinistre carnaval les dépassent complètement », déclare Gérard Prunier dans son ouvrage Rwanda, histoire d’un génocide.

Les para-commandos belges

Une fois l’avion présidentiel abattu, la rumeur se répand très rapidement que ce sont les soldats belges qui sont responsables. Malgré cela, on confie à un bataillon de 10 paras belges la mission d’escorter la Première ministre Agathe Uwilingiyimana jusqu’à la station de radio Rwanda où elle doit prendre la parole très tôt le matin. Arrivés à son domicile, ils sont encerclés par des soldats rwandais qui ouvrent le feu. Ils seront faits prisonniers et emmenés vers le camp Kigali. La rumeur se répand qu’ils sont responsables de l’attaque contre l’avion du président. Une foule encercle le bâtiment et tente de les lyncher. Ils résisteront plusieurs heures. Dans l’après-midi du 7 avril, les corps mutilés des 10 para-commandos belges sont transportés vers la morgue de l’hôpital.

Les 100 jours

Entre avril et juillet 1994, l’ONU estime qu’au moins 800.000 personnes ont été tuées. Il reste tellement de zones d’ombre et de questions dans ce génocide que même le nombre exact de victimes n’est pas connu. Beaucoup d’experts et d’organisations estiment que le million de morts a été dépassé. En une centaine de jours. Les massacres prendront fin lorsque le FPR s’empare de Kigali. Avec Paul Kagame, le Tutsi, à sa tête. Un quart de siècle plus tard, il est toujours au pouvoir.

Comment rendre justice ?

Après avoir ignoré ou minimisé la gravité des événements, la communauté internationale veut juger les coupables. Elle crée le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui siégera à Arusha en Tanzanie. Sur une période de 20 ans, 93 personnes sont jugées. Un TPIR très décrié, trop lent, trop cher, corrompu, peu efficace. La toute grande majorité des suspects sera jugée par des gacaca, les tribunaux traditionnels populaires. Entre 2005 et 2012, 2 millions de personnes, des exécutants accusés de crimes liés au génocide, seront jugées. 65% seront déclarés coupables.

La fin d’un génocide et le début de l’exode

L’arrivée du FPR a mis fin au massacre des Tutsis en grande majorité mais aussi des Hutus qui étaient opposés au régime. Mais, soit parce qu’ils ont commis des crimes et qu’ils espèrent échapper à la justice, soit parce qu’ils ont peur de la vengeance et des représailles, 2 millions de Rwandais en grande majorité des Hutus, se lancent sur les routes. Leur but : atteindre ce qui s’appelle alors le Zaïre, cet immense pays voisin où ils espèrent fuir. L’exode est tellement massif que 25 ans plus tard, cet immense pays voisin a beau avoir changé de nom – il s’appelle désormais la République démocratique du Congo -, ses provinces de l’Est sont toujours très largement déstabilisées par les suites et conséquences du génocide au Rwanda.

 

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